Pourquoi le théâtre ?

Publié le par Mordue de theatre


Merci à Véronique Vella pour cette superbe photo de la Salle Richelieu

Prépa scientifique et passionnée de théâtre. Cette description est quelque peu oxymorique. Et pourtant, l'un n'empêche pas l'autre. J'apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie, et tout le crédit d'un grand Seigneur peut à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire ! - Las d'attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le théâtre. Ah mon petit Fifi, il t'a causé bien des problèmes, le théâtre ! Alors pourquoi est-il autant un bienfait pour moi ? Pourquoi le théâtre ?

Parce que le théâtre est une échappatoire. Un moyen de s'extraire de la vie quelques instants. D'échapper au stress et au travail qui nous entourent. D'oublier, le temps d'une soirée, une khôlle qui s'est mal déroulée ou un DM qu'on n'a pas fini. Mais si, si, c'est ça, entre autres choses. Que ce soit Racine ou Feydeau, lorsqu'ils sont bien joués, on oublie tout, on entre dans l'action pour n'en ressortir qu'après la fin du spectacle. Alors le sort de Phèdre occupe toutes nos pensées, alors on se demande ce que ce Bois d'Enghien va bien pouvoir inventer pour sortir de la situation dans laquelle il se trouve. Et le Grand théâtre, c'est aussi le plaisir des mots, des chocs, des paradoxes qu'on peut y voir et y entendre. 

Parce que j'aime par dessus tout la belle langue théâtrale. Lavoisier a dit : Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Soit, mais au théâtre, la règle ne s'applique pas. D'un rien, on fait un tout. D'un texte brillant et d'une voix adéquate, et les plus beaux sentiments peuvent déferler. Quels frissons devant ces vers :

C'est craindre menacer, et gémir trop longtemps.
Je meurs si je vous perds, mais je meurs si j'attends.

Quelle beauté. Quelle perfection. Lire ou écouter Racine, mieux : le voir bien joué sur scène, est un plaisir tel qu'il n'y a pas de mots pour le décrire. De manière plus générale, je dirais que je suis très sensible aux vers, peut-être plus qu'à la prose. Ils sont une manière de s'exprimer au rythme doux et au son si agréable... Ceux de Corneille me font peut-être moins d'effet, mais ils restent spectaculaires. Quelle force dans ceux-ci :

Rome, l'unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant !
Rome qui t'a vu naître, et que ton coeur adore !
Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore !

Mais il n'y a pas qu'eux ! Deux des plus grandes pièces que je connaisse sont Cyrano et Le Misanthrope, et le texte y est un pur délice pour l'oreille. Et je ne dénigre pas la prose pour autant. A titre d'exemple, Penthésilée, de Kleist, est une immense pièce, d'une puissance, d'une intensité, et d'une grandeur rare. Enfin cette réplique de Fantasio de Musset, que je trouve à la fois simple et déchirante : 

Hartman - Tu as le mois de Mai sur les joues.
Fantasio - C'est vrai ; et le mois de Janvier dans le coeur.

Parce que j'ai toujours aimé écrire, partager ce que j'aime, et me plaindre. D'où l'idée de la critique. J'en ai reçu des mots assassins, me disant que je n'étais pas dans mon droit de considérer tel ou tel spectacle comme mauvais. A ceux-ci, je réponds que ce n'est que mon ressenti que j'essaie d'exprimer, ma vision des choses. Alors oui, j'estime qu'il y a une ligne directrice, et qu'on peut dire "Tel auteur ne peut être monté ainsi". Je ne critique sévèrement que parce que je suis déçue de n'avoir pas vu un bon spectacle : quoi de plus désillusionnant que d'avoir faim, de voir un gâteau qui a l'air appétissant, et qui en fin de compte s'avère immangeable ? C'est pareil ! C'est de la déception que provient la colère, et même si les beaux mots ont de l'effet sur moi, certaines mises en scènes ont tout pour me déplaire, et gâcher un beau texte me fait trembler d'effroi. C'est pourquoi, humblement, j'essaie de donner Un avis objectif, argumenté, sensé, et que mon but n'a jamais été de blesser Acteurs, metteurs en scène, tous ces gens que j'adore, mais bien à mes confrères spectateurs d'éviter, une soirée gâchée ou un spectacle hardcore.

Parce qu'au théâtre, contrairement au cinéma, on est en face du vrai. Le théâtre a cette authenticité là que j'apprécie énormément. Ce n'est pas comme derrière une caméra, on ne peut pas feindre, on ne peut pas recommencer. Enfin, je dis on... Je parle d'eux, des acteurs bien sûr, mais également de ceux qu'on ne voit pas, cachés derrière des manettes, ces personnes qui permettent à tous nos sens d'être enchantés à l'unisson en manoeuvrant les sons et les lumières avec une précision drastique. Ce qui me rappelle une anecdote, racontée par Fabrice Luchini : "Un jour, durant une répétition d'un spectacle que Terzieff mettait en scène, le technicien des lumières a fait une très légère erreur, il a fait son effet lumineux deux secondes et demi plus tard, ce qui fait que l'acteur qui jouait a été dans l'ombre trop longtemps. Et là, la colère de Terzieff était shakespearienne, il a convoqué ce technicien, et celui-ci lui a demandé "qu'est-ce que j'ai fait ?" et Terzieff lui a répondu : "Tu as retardé de 3 secondes l'effet de lumière. Si tu conduisais un boeing, combien de morts tu aurais fait ? 1000 morts. Tu dois rentrer dans le théâtre, qui est un lieu sacré, avec l'urgence et la responsabilité, que ta décision est une question de vie ou de mort." 

Parce que je ne me sens véritablement bien, heureuse, entière, et à ma place, que dans un fauteuil de théâtre. C'est un très bon moment, l'avant représentation. C'est agréable d'être assis là, entouré de personnes inconnues et pourtant réunies ici dans un seul et même but : assister à une représentation théâtrale. Peut-être sont-ce des acteurs autour de moi ? J'adore observer les autres spectateurs. Parfois, je reconnais une tête connue. Parfois, je m'exaspère de voir un tel poser ses pieds sur la scène. J'aime aussi observer ce qui m'entoure : les belles salles de spectacles ravissent mes yeux : des lustres imposants, de belles peintures, un rideau rouge comme dans un rêve, retombant sur la scène avec grâce. C'est mon monde, ou du moins, celui auquel je veux appartenir.

Un grand Monsieur, amateur de mots, pianiste de métier, m'a dit un jour : Dernier domaine où l'on ne peut pas mentir, l'art est un allié, un ami parfois redoutable, mais capable de tant de joies. Et je crois que tout est dit.

Publié dans MDT divague

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C
C'est craindre menacer, et gémir trop longtemps.<br /> Je meurs si je vous perds, mais je meurs si j'attends.<br /> <br /> beau partage
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H
Je découvre ton blog que je trouve super. Je suis admiratif de ta production d'articles. Je réagis sur celui-ci car il me parle pas mal, étant moi-même passé par une prépa scientifique (mais à l'époque je ne fréquentais pas les théâtres), étant à présent dans un métier scientifique et très technique, mais avec une appétence très importante pour les sorties théâtrales. En tout cas un grand bravo pour arriver à concilier les études, les sorties et ce blog... que je vais suivre assidûment !
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O
Un bel article. J'aime particulièrement le paragraphe sur l'avant représentation. L'esprit me rappelle cette célèbre envolée de André Benedetto « Plus la tempête est grande sur la scène, plus le héros est malmené, et plus il sert de phare pour faire le point à tous ces immobiles dans le silence de la salle, très agités à l’intérieur d’eux-mêmes et très désemparés.<br /> Le théâtre ça les apaise, ça les soulage et ça les éclaire dedans. On peut alors penser qu’ils deviennent un peu meilleurs tous ensemble. »<br /> Bonne soirée.<br /> Orah<br /> https://twitter.com/orahdemortcie
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E
je me retrouve dans bcp de ces arguments... une fenêtre sur l'ailleurs... <br /> bonne soirée, et bons futurs spectacles!
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